Romane Denis : le nouveau visage de Gabrielle Roy
Claire-Marine Beha
12 décembre 2023
C’est la comédienne Romane Denis qui porte au petit écran la fougue de Gabrielle Roy dans la deuxième saison du Monde de Gabrielle Roy, alors que l’écrivaine traverse ses premières années en tant qu’adulte et cherche sa voie.
L’interprète, qu’on a pu voir dans de nombreuses productions au petit écran (Les pays d’en haut, La confrérie, La faille), a adoré prêter ses traits à cette figure majeure de la littérature, qui, entre 1929 et 1937, s’ouvre au monde des arts et de la culture et a soif d’émancipation. Avec enthousiasme, Romane Denis revient sur son rôle et sur le tournage qui a eu lieu l’été dernier au Manitoba.
Ne manquez pas la diffusion de la saison 2 de la série Le monde de Gabrielle Roy sur ICI Télé, à partir du 2 avril à 20 h. La série est aussi offerte sur ICI TOU.TV EXTRA.
On a eu l’occasion de te voir dans le dernier épisode de la première saison. Comment t’es-tu préparée pour le rôle à l’occasion de cette deuxième saison?
J’ai adoré l’interprétation de Léa-Kim Lafrance-Leroux (qui joue Gabrielle Roy dans la saison 1), donc je souhaitais être crédible pour qu’on croie que c’est bien cette petite fille qui a grandi. Lorsqu'on s’est rencontrées, j’ai eu l’impression qu’on avait un peu la même énergie, donc je pense qu’on a été bien choisies pour se suivre.
Dans cette nouvelle saison, Gabrielle Roy se trouve dans un moment un peu bizarre, cette transition entre l’adolescence et le début de la vie adulte. Elle est désormais enseignante, mais elle se cherche. À 25 ans, je commence à sortir de cet entre-deux, donc je pouvais comprendre les questionnements par lesquels elle est passée, les choix ou les erreurs qu’elle a pu faire.
Bien qu’on n'ait pas eu la même famille ni vécu à la même époque, je suis allée puiser dans mon expérience. Son père est décédé, le mien aussi, je sais ce que c’est de vivre son deuil et d’avoir une mère qui mène la famille; elle aime le théâtre et la littérature, moi aussi; elle avait une personnalité très passionnée, très cyclique, et moi, cette intensité-là, je l’ai aussi dans ma vie.
De plus, être immergée au sein des paysages de son enfance au Manitoba m'a énormément aidée à me plonger dans le rôle. La campagne dans les Prairies, c’est vaste et plate, alors on peut aisément imaginer cette jeune femme qui rêve de Paris, de culture, de théâtres! Elle ne voulait pas rester prisonnière de son environnement.
En fait, la Gabrielle Roy qu’on connaît beaucoup, c’est celle qui a 40, 50 ans, qui gagne son prix Fémina avec Bonheur d'occasion, c’est la femme expérimentée, qui sait qui elle est. Alors que la Gabrielle vingtenaire, on la connaît moins. Je me suis donc renseignée sur ce qu’elle aimait lire à cette époque de sa vie. Lire ses romans à elle c’est fantastique, mais ils ont été écrits plus tard dans sa vie avec un regard plus sage et réfléchi sur sa jeunesse. J’ai donc consulté des ouvrages que Gabrielle Roy aimait lire à cette époque : les pièces de théâtre anglaises, les œuvres de Shakespeare comme Macbeth, Hamlet, mais aussi Virginia Woolf et des auteurs français.
Qu’est-ce qui t’a donné envie d’incarner l'écrivaine franco-manitobaine?
Ma maman a été professeure de français pendant plus de vingt ans, alors Gabrielle Roy, pour moi, c’est une figure incontournable! Ce qui m’a attirée c’est son envie de faire rayonner la langue française, et il faut se rappeler qu’elle n’était pas québécoise, elle avait une vision du peuple francophone canadien plus grande que celle qu’on a parfois ici. J’aime la langue française plus que tout et Gabrielle Roy est une autrice qui a défendu notre culture et qui a revisité sa vie à travers ses mots.
Ça reste intimidant de jouer une vraie personne, car on est tenté de se dire qu’on n’a pas le droit à l’erreur, qu’il faut être absolument fidèle à la réalité. Il ne fallait donc pas que j’y pense trop, car sinon, j’étais trop impressionnée d’interpréter son rôle! En discutant avec la réalisatrice Renée Blanchar, j’ai compris que l’important était de retrouver l'esprit de la jeune Gabrielle Roy, plutôt que de marcher et de parler exactement comme elle! Oui, c’est une grande femme, mais on désire que les gens se retrouvent en elle aussi, à travers les défis et les émotions qui l’ont marquée.
L’équipe a réussi à créer une saison franchement fantastique avec un budget pas si exceptionnel, tout le monde a donné son maximum!
La deuxième saison débute en 1929 et couvre huit années de la vie de Gabrielle Roy, juste avant son départ pour l'Europe. Comment es-tu parvenue à faire évoluer le personnage?
Je trouve que l’équipe des costumes, coiffures et maquillages a fait un travail impressionnant pour rendre visible cette progression. Au fur et à mesure, on voit apparaître une jeune femme qui prend son destin en main. Tout change, la mode évolue, et ça m’a frappée à quel point on la voit changer quand j’ai visionné les épisodes. Dans la saison 1, on voit Gabrielle grandir, mais dans cette saison, on la voit vieillir, dans le sens d’acquérir de l’expérience, de se tenir plus droite, de ressembler davantage aux personnes qu’elle admire.
Ce sont aussi des années où des sacrifices ont dû être faits. On est entre deux guerres et la crise économique pèse sur les gens. On a ainsi inclus ces difficultés financières dans le scénario. Par exemple, on coupe le pain vraiment très fin; c’est l’une des habitudes que les gens avaient réellement à l’époque, surtout chez les francophones. Et cette attention aux détails, on la doit à Renée Blanchar, qui a des yeux partout et qui pense à tout. Grâce à sa sensibilité, le décor et les objets parlent autant que les interprètes. J’ai toujours été une fan d’histoire, alors de plonger là-dedans, ça a été un pur bonheur!
Comment s’est passé le tournage au Manitoba?
Très bien! Ce qui m’a le plus marquée, c’est que dès que je suis arrivée à Winnipeg, on m'a donné une machine à écrire pour que je m’exerce. À ce moment-là, j'ai compris que c'était réel, que j'allais incarner Gabrielle Roy! Je le savais déjà (rires), mais cet objet m’a donné une petite émotion, ça me reliait à elle. C’est l’objet qui représente sa vie, on voit dans la bande-annonce qu’elle le caresse quasiment, ça représente sa porte de sortie, c’est son écriture qui va la propulser, qui lui offre une sensation de liberté...
Il faut rappeler que c’était rare pour une jeune femme de posséder quelque chose et surtout un objet lui permettant de s’émanciper. Ce qui est génial, c'est que j'ai pu garder cette machine à écrire. Ça m'a beaucoup touchée.
Gabrielle Roy a fait le choix de partir, de suivre son rêve d’écrire, alors qu'à l'époque, on attendait des femmes qu’elles s’occupent de leur famille.
Sinon, il a fait très chaud lors du tournage! On portait des costumes d’époque et disons que les femmes étaient très couvertes, alors ça a été un défi, mais ça ne paraît absolument pas à l’écran! J’ai également dû réapprendre à faire du vélo, car c’était le moyen de transport de Gabrielle et ça faisait des années que je n’en avais pas fait. J’étais vraiment nulle! J’ai donc dû m’entraîner pour m'améliorer.
Quelle empreinte aimerais-tu que cette série laisse?
En fait, j’ai peur que Gabrielle Roy tombe dans l’oubli. J'aimerais que les jeunes générations, et les moins jeunes également, ne mettent pas de côté cette écrivaine parce qu’elle appartient au siècle dernier. Bien qu’elle ait vécu à une époque différente de la nôtre, beaucoup des rêves et des sacrifices qu’elle a dû faire en tant que femme pour devenir écrivaine font encore écho aujourd’hui et peuvent parler à tout le monde.