Rencontre littéraire Pour emporter avec Robert Lalonde

Rencontre littéraire Pour emporter avec Robert Lalonde
France Capistran

19 novembre 2020

L’homme de lettres Robert Lalonde est né en 1947 à Oka. Son père était métis, et sa grand-mère, iroquoise. Il écrivait, d’ailleurs, lorsque nous l’avons appelé. Primée, l’œuvre du prolifique auteur – qui est également comédien, dramaturge, traducteur et professeur de création littéraire et d’art dramatique – frise aujourd’hui, près de 40 ans après la parution de son premier roman, en 1981, la trentaine de romans, recueils et carnets. Le comédien Christian Bégin a témoigné de son affection pour Le fou du père, roman paru en 1988, à l’émission Pour emporter

***

Je vous ai interrompu, M. Lalonde!

Mais ce n’est pas grave. Des fois, ça fait du bien de quitter le bureau. Il n’y a pas tellement d’endroits ou d’occasions pour parler de livres.

 

Vous êtes l’incarnation de l’auteur prolifique. Qu’est-ce qui vous pousse à continuer d’écrire? 

Il y a comme une impossibilité de faire autrement. Quand je ne suis pas en état de création, d’écriture, c’est comme si la réalité m’agressait, tant en ce moment avec les élections aux États-Unis qu’avec le confinement, la détresse que vivent certains de mes amis à cause de tout ça. Écrire, c’est prendre un petit peu la parole pour les gens qui ne peuvent pas le faire. Essayer de rejoindre les gens dans leur intimité, pas seulement dans leur parcours quotidien, dans ce dont ils rêvent, ce dont je rêve. En ce moment, par exemple, on peut tout de même espérer que la pandémie va changer un peu notre manière de voir les choses. Il y a toujours une espèce d’espoir, quand j’écris, de franchir les impossibilités auxquelles on fait face. Ça fait presque 60 ans que j’écris chaque jour; c’est devenu une espère de respiration normale – comme ça peut l’être pour d’autres en faisant du jogging ou de la méditation.

 

Écrire chaque jour fait donc partie de votre processus d’écriture. 

Tout à fait. Ce n’est pas tout ce que j’écris qui se retrouve dans mes bouquins, mais il ne faut pas perdre la main. Et c’est ma référence à moi, comme je tiens aussi des carnets, des journaux. C’est comme une vie parallèle à la mienne, qui est la mienne en même temps. Des fois, il faut que je m’arrête, que je fasse autre chose, mais apparemment, je n’y arrive pas (rires). 

 

Vous avez déjà dit en entrevue que vous aimez, comme comédien, pouvoir mener d’autres vies, ce qui vous permet de jouir de votre métier d’auteur. 

C’est vrai. Je pense que n’importe qui, dans n’importe quel métier, a l’envie, à un moment donné, de mener une autre vie. Je ne pourrais pas me passer ni de l’un ni de l’autre – ils fonctionnent ensemble. Présentement, je fais de la télévision, et on a énormément [de moments] d’attente, alors je serai dans mon petit Winnebago, j’ai mes papiers, mes carnets. 

 

Avez-vous eu droit à un petit bureau pour écrire durant le tournage, comme on vous l’a offert lors de précédents tournages?

En effet, on me trouve des coins. Yves Montand me disait : « C’est quoi, faire du cinéma? C’est se trouver un siège pour s’asseoir. » C’est tellement surchargé d’électricité et de gens, que de temps en temps, un assistant me dit : « Le gars d’en haut a un petit bureau, tu serais bien. » Ils accommodent ma façon de faire, c’est très sympathique.

 

L’écriture est arrivée tôt dans votre vie. Enfant, vous écriviez déjà dans vos calepins d’école. 

Je « date » [cette arrivée] de l’époque du cours classique et du pensionnat, dans lequel j’ai été enfermé 12 ans. En quittant mon village, ma forêt, le lac, je m’ennuyais d’une façon presque maladive. J’ai donc commencé à écrire, même dans les pages de garde des livres d’école, toutes sortes d’affaires. Tranquillement, je me suis mis à évoquer tout ce dont j’étais privé. Écrire, c’est beaucoup ça, l’évocation de moments précieux qu’on a perdus ou qu’on risque de perdre. J’ai souvent été en retenue parce que je ne savais pas bien me comporter. 

 

« C’est long, les heures de retenue, j’avais le temps pour écrire. Ça m’a sauvé la vie, quelque part. Alors qu’on pensait me punir en me mettant tout seul, j’étais absolument ravi de pouvoir écrire en paix. »

Robert Lalonde, auteur

 

Vous aviez déjà tellement à raconter…

L’une des qualités d’un écrivain, c’est la mémoire. En général, la mémoire d’un écrivain est très forte. Les sensations, les paroles, les situations sont imprimées en eux. C’est peut-être la qualité première pour restituer des sensations restées gravées. J’ai toujours eu ça. Et ça me sert aussi comme acteur, puisque la mémoire émotive est très importante.  Le travail d’écriture et d’acteur me permet d’aller dans des zones où, normalement, je n’irais pas. C’est très agréable de s’en aller ailleurs que dans sa propre vie pendant un moment.

 

En entrevue, vous vous êtes décrit comme un délinquant et un vieux jeune homme. Pour le plaisir des lecteurs et des lectrices, pouvez-vous approfondir ça?

Ce sont des qualificatifs qu’on m’a donnés, mais que j’ai fini par adopter. Je pense que les délinquants sont souvent des gens qui refusent la vision commune pour aller où ils doivent aller, à l’encontre même des règles. J’ai toujours été un petit peu à côté de ce qu’on attendait de moi. C’est un peu comme ça que je me suis défini. 

 

« Quant au "vieux jeune", c’est que je n’ai pas perdu la confiance ou la révolte que je pouvais avoir plus jeune et, en même temps, je prends de l’âge. Mais pour moi, ça n’a pas vraiment d’importance, l’âge. D’ailleurs, je trouve que les séparations entre les générations sont beaucoup trop considérables en ce moment. » Robert Lalonde, auteur 

 

Je travaille souvent avec des gens plus jeunes qui me disent : « C’est difficile de te parler parce que tu es un écrivain et que tu as vécu beaucoup de choses, et nous, on ne sait pas si on aura l’air idiots. » Mais je trouve ça plate, qu’on me dise ça. D’une certaine façon, j’ai encore leur âge. Si vous pensez qu’on devient sage en vieillissant, détrompez-vous. Ce qu’on appelle « sérénité », des fois, c’est juste la mort des cellules du cerveau. Ce n’est pas forcément la paix. Tant qu’on est vivant, c’est compliqué. J’ai admis ça il y a longtemps. Je pense que mes livres montrent qu’on peut réussir à se faire un destin malgré toutes les complications qu’on traverse. 

 

J’ai l’impression que la complexité de la vie est sa richesse première.

Absolument. J’ai un ami biologiste spécialiste de la chimie du cerveau qui m’a dit que s’il n’y a pas de bataille électrique dans le cerveau, la vie n’est pas maintenue. On s’en va vers la mort quand on espère se calmer, on assassine un peu les cellules du cerveau qui permettent de rester dans la bataille. La vie est un peu un combat – si on baisse les armes, sous prétexte d’avoir la paix, on élimine une part importante de nous-mêmes, qui doit continuellement se battre pour se maintenir en vie, et en dehors des diktats. Je suis tombé sur des magazines chez le dentiste et j’étais consterné qu’ils disent quoi faire pour être heureux. Des recettes de bonheur… mais c’est quoi, le bonheur? C’est abstrait. Comme disait ma mère, morte à 94 ans : « T’es heureux des fois, t’es malheureux d’autres fois, c’est comme ça. Il n’y a pas de recette pour être heureux tout le temps. »

 

Quand vous regardez l’œuvre littéraire que vous avez façonnée, que ressentez-vous?

Une espèce d’ébahissement, parce que je peine à croire que j’ai fait tout ça. Des fois, j’ai l’impression que quelqu’un d’autre l’a fait. J’ai du mal à retracer les romans les uns après les autres. Je dirais simplement qu’un écrivain, ça écrit. J’ai du mal à me relire. Je préfère aller en avant qu’en arrière de toutes les façons. Parce que je ferais mes livres autrement. Je ne reviens pas trop sur mon parcours, parce que je suis porté à y voir plus d’insuffisances qu’autre chose. Chez mon éditeur, quand on est rendus aux épreuves de mes romans, je veux encore changer des choses. 

 

« Un livre peut se bonifier à l’infini; à un moment donné, un livre, on ne le finit pas, on le lâche. »

Robert Lalonde, auteur

 

Pour mieux passer à un autre?

Et pour que les autres fassent leur part. Là où mon livre prend le plus de valeur à mes yeux, c’est quand il me revient par la voie de ceux qui le lisent. Là, quelque chose d’assez beau se passe et m’encourage, beaucoup plus que ma propre lecture. Je mets en circulation quelque chose pour que les autres s’en emparent. 

 

Comme peuvent le faire les autres artistes aussi, en s’inspirant de l’œuvre de leurs pairs et de celles et ceux qui sont venus avant. 

Oui, on ne travaille pas tout seul. Je cite mes complices beaucoup dans mes carnets, je nomme les gens avec qui je chemine depuis longtemps, qui m’ont donné la permission d’écrire à ma façon. Et je ne vois pas comment on peut écrire si on ne lit pas. Ça me dépasse. 

 

Je vous replonge brièvement dans le passé pour vous demander ce que représente Le fou du père à vos yeux, aujourd’hui.

C’est l’exploration que je faisais à l’époque de mon rapport avec mon père, avec l’homme des bois et l’homme de lettres que j’étais à la fois. Comment c’était à la fois riche et compliqué de vivre ça. À l’âge que j’ai, c’était rare que nos parents soient lettrés. Ils étaient embrigadés dans des destins très exigeants. Je ne sais pas trop comment ce roman est né sinon de la mort de mon père. Il a un peu bafoué son propre talent d’artiste pour des raisons financières. Il était un peintre qui a fait du travail commercial parce qu’il ne réussissait pas à vivre de sa peinture. J’ai hérité beaucoup de ça.

 

Robert Lalonde, merci beaucoup!

 

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